mercredi 23 octobre 2013

X comme... Xa Loi (raid sur la pagode de)

L'assaut sur cette pagode de Saïgon, le 21 août 1963, a servi de catalyseur à la contestation contre le régime de Diêm, particulièrement chez les bouddhistes, au Sud-Viêtnam, mais aussi aux Etats-Unis. Les tensions s'exacerbent après que Diêm aient interdit aux leaders bouddhistes d'arborer leurs drapeaux à l'occasion des cérémonies d'anniversaire de la naissance du Bouddha. Catholique, Diêm ne s'est pourtant pas opposé au déploiement des drapeaux blancs et dorés des catholiques en l'honneur de son frère aîné Ngo Dinh Thuc, archevêque de Hué.

Le 7 mai 1963, les bouddhistes, qui par dérision arborent les drapeaux des catholiques, affrontent les forces de sécurité à Hué, et il y a plusieurs victimes. Chaque camp s'accuse d'avoir provoqué l'autre, et ne veut pas céder du terrain. Diêm craint pour son régime. Le 11 juin, un moine bouddhiste s'immole en plein milieu de Saïgon. Diêm et son frère Nhu, qui dirige la police secrète, font alors surveiller étroitement les bouddhistes.

La pagode Xa Loi est utilisée comme point de rassemblement pou des manifestations devenues quasiment quotidiennes dans la capitale. Le 21 août, les forces spéciales de Nhu font irruption dans la pagode ainsi que dans d'autres à Saïgon, prétextant d'une tentative de coup d'Etat. Les hommes de Nhu, qui portent l'uniforme militaire, mettent à sac la pagode, la pillent, et arrêtent près de 400 moines ou nonnes bouddhistes, dont le patriarche âgé de plus de 80 ans.

Un moine bouddhiste parvient à se réfugier dans l'ambassade américaine, ce qui manque d'entraîner un incident diplomatique lorsque les forces de Nhu encerclent l'édifice et exigent la remise du moine. La réaction internationale face à ces événements est désastreuse pour Diêm. Celui-ci ordonne ensuite la loi martiale et de tirer à vue sur tous ceux qui violeraient le couvre-feu. Des centaines de manifestants sont arrêtés. Cet incident renforce les Américains dans la conviction qu'un changement de régime est nécessaire. Trois mois plus tard, Diêm est renversé, avec le consentement des Etats-Unis.


Pour en savoir plus :


Ronald B. FRANKUM, "Weyand, Frederick Carlton", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.1351.

W comme... Weyand (Frédérick Carlton)

Général de l'US Army, commandant de la II Field Force et surtout dernier commandant un peu oublié du MACV au Viêtnam. Né en 1916, Weyand sort de l'université de Berkeley en 1939 et passe par le Reserve Officers Training Corps. En 1940, il est appelé dans le 6th Artillery. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert comme officier de renseignements en Birmanie, puis il est muté après 1945 dans l'infanterie. En 1950-1951, il est lieutenant-colonel et commandant d'un bataillon du 7th Infantry pendant la guerre de Corée et officier opérations de la 3rd Division. Il enseigne à l'école d'infanterie de Fort Benning en 1952-1953 avant d'être assistant militaire d'un bureau du secrétaire de l'Armée. Il est promu colonel en 1955. Il sort diplômé de l'Army War College en 1958, puis sert en Europe jusqu'en 1961, devenant général en 1960. De 1961 à 1964, il est assistant puis dirigeant de la mission de liaison législative du département de l'Army.

En 1964, devenu Major General deux ans plus tôt, il prend la tête de la 25th Infantry Divison à Hawaï. Il est avec elle lorsqu'elle est dépêchée au Viêtnam en 1966 et il la mène pendant les opérations Cedar Falls et Junction City en 1967. En mars 1967, il devient commandant adjoint de la II Field Force puis la dirige de juillet 1967 à août 1968. Il est responsable des forces dans et autour de Saïgon pendant l'offensive du Têt, en janvier 1968. Inquiet de voir ses forces déployées près des frontières du Cambodge, alors que les communistes semblent se concentrer près de Saïgon, comme son conseiller civil John Paul Vann, il obtient le 10 janvier de Westmoreland l'autorisation de porter à 27 bataillons (au lieu de 14) les troupes américaines autour de la capitale. Cela a évidemment un impact important sur le déroulement des combats que Weyand dirige à partir de son PC de Long Binh.

Weyand quitte le Viêtnam en 1968. En 1969-1970, il est conseiller militaire lors des négociations à Paris. Commandant adjoint du MACV en avril 1970, il remplace Abrams à ce poste en juillet 1972. C'est lui qui préside au retrait américain jusqu'à la descente du drapeau, le 29 mars 1973. Il est ensuite vice chef d'état-major de l'US Army en 1973, puis devient lui-même chef d'état-major en octobre 1974. Juste avant la chute du Sud-Viêtnam, le président Ford envoie Weyand sur place pour évaluer la situation. Le 27 mars 1975, Weyand confirme au président Thieu que les Américains ne reviendront pas au Viêtnam. De retour aux Etats-Unis, il prédit la chute du Sud-Viêtnam si l'armée américaine n'intervient pas. Par la suite, il prend sa part à la reconstruction d'une US Army traumatisée mais qui cherche aussi à oublier l'expérience viêtnamienne. Il prend sa retraite en octobre 1976. Weyand est mort à Hawaï le 10 février 2010.


Pour en savoir plus :


David T. ZABECKI, "Weyand, Frederick Carlton", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.1336-1337.

lundi 21 octobre 2013

V comme...Vang Pao

Chef militaire des Hmongs anti-communistes, passé du rang de simple soldat à celui de général, et qui tient en échec certains des meilleurs stratèges nord-viêtnamiens au Laos. Vang Pao, né au Laos en 1931, a fait office de courrier pour les Français contre les Japonais en Indochine. En 1947, il est recruté dans les forces irrégulières au Laos, avant d'être envoyé en mars 1948 à l'école des sous-officiers de Luang Prabang dont il sort caporal et premier de sa classe. En janvier 1949, après être passé par l'école de Gendarmerie Nationale, il est à nouveau en tête de promotion et finit sergent major. Il passe adjudant en octobre 1950.

Vang Pao se distingue dans les embuscades et les petites actions militaires contre le Viêtminh dans la plaine des Jarres. Il comprend très vite l'intérêt de se rallier la population civil. En mars 1952, seul Hmong à l'école d'officiers, il termine 7ème sur 56. Il est nommé lieutenant de la 14ème compagnie d'infanterie de l'armée royale laotienne, à Muong Hiem, à la frontière des provinces de Luang Prabang et Sam Neua. A l'époque de Dien Bien Phu, Vang Pao commande sa propre unité irrégulière. Il est nommé capitaine en décembre 1954.

En janvier 1961, alors que l'aide américaine au Sud-Viêtnam se précise davantage, Vang Pao est lieutenant-colonel. Il propose aux Américains et aux Thaïlandais d'armer ses 7 000 Hmongs pour en faire une armée irrégulière. Vang Pao mène ainsi son armée secrète, ou clandestine, contre le Pathet Lao et les Nord-Viêtnamiens. Il surprend la routine opérationnelle de ces derniers en déplaçant très rapidement ses petites unités mobiles, et ce pendant des années. En 1973, il est général et commande la deuxième région militaire, quand le cessez-le-feu est proclamé. Deux ans plus tard, au moment de la chute du régime, Vang Pao est évacué dans un petit avion sur la Thaïlande. Il s'installe ensuite aux Etats-Unis et prend une part active à la vie de la communauté hmong en exil.

En 2007, il est arrêté avec 9 autres personnes, essentiellement des exilés laotiens vivant en Californie. Ils sont accusés d'avoir conspiré pour renverser le régime laotien, en violation du U.S. Neutrality Act. Vang Pao aurait voulu acquérir des armes et les faire passer par la Thaïlande pour organiser un soulèvement au Laos. Il est brièvement incarcéré avant que sa caution de 1,5 millions de dollars ne soit payée. Les supporters de Vang Pao, en Californie et au Minnesota, plaident pour que les charges soient abandonnées, ce qui n'intervient qu'en septembre 2009. Vang Pao meurt à Fresno, en Californie, le 6 janvier 2011.


Pour en savoir plus :


Arthur J. DOMMEN, "Vang Pao", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.1227.




U comme... U Minh (forêt de)

Une zone densément boisée et marécageuse au sud-ouest du delta du Mékong, située à la frontière entre les provinces An Xuyen et Kien Giang au Sud-Viêtnam. En plus d'être recouverte de jungle et de marais, la forêt U Minh et très chaude et humide. Traditionnellement un refuge pour les contrebandiers, les pirates et les bandits, la forêt est un sanctuaire communiste, appelée zone 483, depuis au moins la guerre d'Indochine. Toutes les voies d'eau environnantes sont contrôlées par le Viêtcong avant l'offensive du Têt de 1968. Durant la période 1962-1965, les armes et les munitions venant du Nord sont transportés via des navires de pêche camouflés qui débarquent leur chargement de nuit sur la péninsule de Ca Mau. Plus tard, le ravitaillement et les armes transitent via le Cambodge et l'île de Phu Quoc, puis la province de Kien Giang jusqu'à la forêt elle-même. Les hommes arrivent généralement par voie de terre.

Les unités viêtcong qui opèrent dans le secteur comprennent le 309ème bataillon des forces régulières, le 2ème bataillon U Minh des forces locales et le 10ème bataillon U Minh. En face, la 21st Infantry Division de l'ARVN est responsable du secteur. A partir de la fin 1968, l'armée américaine commence à mener des opérations dans la forêt après que plusieurs incendies aient brûlé un certain nombre d'arbres. En décembre 1968, le lieutenant Nicholas Rowe, des Special Forces, détenu depuis 1963, réussit une évasion spectaculaire de la forêt U Minh. Dans l'année suivant l'offensive du Têt, le Viêtcong perd sur place une bonne partie de sa base d'opération fort ancienne au profit de l'ARVN. Mais il s'y réinstalle notamment à la faveur de l'offensive de Pâques 1972, pour ne plus la quitter.


Pour en savoir plus :


Glenn E. HELM, "U Minh Forest", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.1155.

vendredi 11 octobre 2013

T comme... Tay Ninh

Une province, et une capitale provinciale, du Sud-Viêtnam, située à 80 km au nord-ouest de Saïgon. La province est bordée au nord et à l'ouest par le Cambodge, et à l'est et au sud par les provinces de Binh Long, Binh Duong et Hau Nghia. L'essentiel du terrain est plat et la province est régulièrement sous les eaux pendant la période des pluies, de mai à décembre. Au-dessus des plaines agricoles s'élève la montagne Nui Da Ben (la montagne de la Vierge Noire), dont le sommet est recouvert de nuages. Au nord, on trouve des forêts denses.


Source : http://www.history.army.mil/books/AMH-V2/AMH%20V2/map13.jpg


La province est dominée par la secte des Cao Dai dont le centre religieux, Thanh Dia, est près de Tay Ninh. Au départ rattachée au Cambodge, elle est conquise par les Viêtnamiens au XVIIIème siècle. Pendant la guerre d'Indochine, c'est une place forte du Viêtminh et des milices du Cao Dai farouchement opposées à la présence française. Pendant la guerre du Viêtnam, la région au nord de Nui Da Ben est un bastion communiste. En mai 1964, les Américains occupent la montagne et installent au sommet un poste d'observation. Celui-ci doit être ravitaillé par hélicoptère car le Viêtcong occupe toujours des grottes sur le flanc de la montagne.

La War Zone C est située dans la province, qui connaît donc un certain nombre d'opérations search and destroy : Attleboro, Junction City, Yellowstone. Pendant l'offensive du Têt, les communistes échouent à s'emparer de la ville de Tay Ninh. Pendant l'offensive de Pâques 1972, une attaque de diversion a lieu dans la province pour camoufler une attaque sur la province de Binh Luong. Le 6 janvier 1975, les restes d'une compagnie des forces régionales sud-viêtnamiennes évacuent le sommet de Nui Ba Den, provoquant l'exode de 25 000 habitants de Tay Ninh vers Saïgon. Une contre-offensive de l'ARVN échoue. Pendant l'attaque finale du Nord contre Saïgon, en avril 1975, la province est défendue par la 25th Infantry Division qui forme une partie de périmètre de défense extérieur de la capitale.

La province de Tay Ninh compte parmi les trois premières provinces du Sud-Viêtnam où les morts américains au combat ont été les plus nombreux.


Pour en savoir plus :


Glenn E. HELM, "Tay Ninh", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.1096-1097.

mercredi 9 octobre 2013

S comme... Search and Destroy

La tactique d'attrition employée au Sud-Viêtnam entre 1965 et 1968. Elle est conçue par le commandant en chef du MACV, Westmoreland, et son G-3, le général DePuy. Cette tactique n'est pas issue de réflexions de comités militaires, de think-tanks ou du US Army Command and General Staff College. Elle est fonction des capacités militaires du moment. C'est une approche empirique issue des discussions entre Westmoreland et DePuy, qui aurait donné son nom à la tactique en question.

Bien que Westmoreland niera par la suite que le search and destroy soit une procédure tactique, il n'en reste pas moins que c'est celle mise en oeuvre par la majorité des unités américaines au Viêtnam. Elle suppose que la supériorité de puissance de feu et technologique des Américains leur permet d'écraser l'adversaire si jamais il est engagé au contact. C'est une tactique agressive où les troupes américaines, véhiculées par hélicoptère, recherchent l'engagement pour détruire l'ennemi, et éventuellement ses camps de base. Elle vise à tuer des hommes plutôt qu'à conquérir du terrain : les soldats sont débarqués, engagent l'ennemi et repartent de là où ils sont venus jusqu'à la prochaine opération.

Tous les militaires américains ne sont pas forcément d'accord avec cette approche, en particulier le commandant de l'USAF et celui des Marines. Le général Gavin suggère de limiter l'intervention américaine à des enclaves, qui seront sécurisées, laissant le gros des combats à l'ARVN. Edward Lansdale préconise d'insister sur la pacification et la contre-insurrection dans les campagnes plutôt que sur l'engagement de bataillons de combat. Mais Westmoreland ne veut pas d'une stratégie défensive et rejette les enclaves. On le voit dès le mois de juin 1965 lorsque la 173rd Airborne Brigade, première unité de l'US Army déployée sur place, dans la province de Phuoc Long, au nord de Saïgon, est appelée en renfort pour soutenir l'ARVN à Dong Xoai. Le 26 juin, le Pentagone autorise Westmoreland à mener des opérations de combat. Deux jours plus tard, 3 000 hommes de la 173rd Airborne Brigade se lancent dans la War Zone D.

Westmoreland emploie en fait l'outil à sa disposition, conçu pour combattre les Soviétiques en Europe centrale et orientale, via la trouée de Fulda ou le corridor de Hof. Les planificateurs qui se chargent du transfert des unités au Sud-Viêtnam pensent qu'elles viendront facilement à bout d'unités irrégulières de guérilla. Westmoreland, influencé par son expérience de la Seconde Guerre mondiale et de la Corée, a cru pouvoir infliger aux communistes suffisamment de pertes pour les faire plier, tout en limitant les pertes américaines. Mais, en réalité, le Nord-Viêtnam peut produire 200 000 nouvelles recrues chaque année. Les Américains n'ont jamais été capables d'éliminer autant de soldats ennemis en une seule année. En outre, les communistes ont l'initiative et choisissent fréquemment le lieu du combat, s'évadant facilement au moment opportun. Après l'offensive du Têt, le terme search and destroy est remplacé par celui de "reconnaissance in force". Mais la tactique, elle, reste la même, quoiqu'en dise les détracteurs de Westmoreland.



Pour en savoir plus :


Cecil B. CURREY, "Search and Destroy", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.1030-1031.

mardi 8 octobre 2013

R comme... Ranch Hand (opération)

Le nom de code, pendant la guerre du Viêtnam, de l'opération d'épandage de pesticides. Ranch Hand part en fait de deux objectifs : dénier au Viêtcong le couvert de la jungle mais aussi lui interdire l'utilisation des récoltes au Sud-Viêtnam. En 1961, devant la montée en puissance du Viêtcong, le président Diêm demande une aide américaine accrue. Le 30 novembre, le président Kennedy approuve l'emploi des pesticides au Sud-Viêtnam.

A l'époque, si des millions de litres de pesticides sont utilisés dans l'agriculture américaine, l'armée n'a pas développé le programme chimique depuis une bonne décennie, même si le petit détachement baptisé Small Aerial Spray Flight (SASF) s'est converti du C-47 au C-123. Après une expérimentation très réussie d'épandage de défoliants en 1959 à Camp Drum, et suite à une visite du vice-président Johnson au Sud-Viêtnam en mai 1961, un centre de contre-insurrection conjoint américano-viêtnamien est créé. Sa tâche principale est d'évaluer l'emploi de pesticides contre le couvert de la jungle et les récoltes sous le contrôle du Viêtcong. Le docteur James Brown, commandant adjoint du US Chemical Warfare Center, supervise les essais.

Les problèmes sont nombreux. Les Américains ne connaissent presque rien du couvert végétal viêtnamien, et ils ne disposent au départ que de vieux C-47, même si des hélicoptères H-34 Chocktaw sont disponibles, de même que quelques turbines au sol. Les succès des tests de Brown entraînent une demande d'expédition du SASF au Sud-Viêtnam. En prévision de l'ordre du président Kennedy, 6 C-123 arrivent sur place le 28 novembre 1961, équipés du nouveau diffuseur MC-1, dans le cadre de l'opération Farm Gate. Le 7 janvier 1962, 3 C-123 se posent à l'aéroport de Tan Son Nhut près de Saïgon. Ils commencent leur mission le 12 janvier en visant une route au nord de Saïgon, dégageant le couvert autour de la voie ; puis des mangroves du delta du Mékong, autour des zones côtières productrices de riz, sont visées.

Les équipages utilisent alors les agents bleu et violet (noms de code pour différents herbicides) mais les résultats sont moins importants qu'escomptés. Après de nouveaux tests en Floride, le nombre de buses sur chaque aile est réduit de 42 à 35, de façon à augmenter la quantité répandue par chacune. En outre, les missions sont dangereuses, car les appareils doivent voler très bas, en ligne droite, à vitesse réduite, ce qui les rend vulnérables aux armes antiaériennes, surtout après 1963. Les 3 appareils engagés passent de 60 missions en 1962 à plus de 270 en 1964. Les difficultés augmentent car ils opèrent maintenant de plus en plus dans les provinces au nord, qui contrairement à celles du sud, ont une relief plus découpé.

Après l'incident du golfe du Tonkin, les tactiques sont quelque peu modifiées. Les missions de destruction de récoltes sont effectuées par des hélicoptères. Le 3 octobre 1964, les équipages de Ranch Hand, qui opèrent avec des observateurs sud-viêtnamiens à bord, larguent leur cargaison sur la War Zone D, visant des récoltes. Les rizières, souvent placées dans des vallées ou de petites clairières dans la jungle, nécessitent parfois des approches relevant parfois du bombardement en piqué. Un quatrième appareil vient renforcer le groupe en décembre.

En 1965, les équipages initiaux, qui servaient pour un temps très court, sont remplacés par d'autres qui effectuent le tour de service réglementaire. En novembre, 3 UC-123B rejoignent l'inventaire. Si l'agent bleu reste utilisé contre les récoltes, le moins coûteux et plus efficace agent orange est désormais employé pour la défoliation de la jungle. Un détachement opère désormais à partir de Da Nang contre la piste Hô Chi Minh. En 1966, l'unité compte 14 appareils, et 25 en 1968. En 1969, on compte 33 appareils de la version C-123K améliorée. En octobre 1966, le 309th Spray Flight est devenu le 12th Air Commando Squadron. L'escadrille se déplace à Bien Hoa pour améliorer la logistique de l'opération. 

L'expansion de l'unité conduit les appareils à effectuer parfois d'autres missions : transport pendant l'offensive du Têt, ou missions spéciales au Laos ou en Thaïlande. En 1965 cependant, les avions accomplissent près de 900 missions pour leur épandage, et plus de 5 700 en 1968. Mais, en 1969, une étude de cinq ans du National Cancer Institute montre au département de la Défense que l'exposition aux pesticides peut entraîner de graves problèmes de santé. Le mécontentement de l'opinion publique grandit quand le Cambodge affirme qu'une bonne partie de son territoire a été visé par des épandages chimiques. En conséquence, l'opération Ranch Hand est progressivement réduite. Dès la mi-1970, le 12th Air Commando Squadron ne compte plus que 8 appareils et se trouve sur la base aérienne de Phan Rang, utilisant l'agent blanc au lieu de l'agent orange. Les trois dernières missions sont effectuées le 7 janvier 1971.


Pour en savoir plus :


Charles J. GASPAR, "Ranch Hand, Operation", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.958-960.

lundi 7 octobre 2013

Q comme... Quang Tri (bataille de)

L'une des trois pinces de l'offensive nord-viêtnamienne de Pâques 1972. L'assaut sur Quang Tri est préparé par les tirs de canons de 130 et 152 mm placés juste au nord de la zone démilitarisée. Le 30 mars 1972, l'armée nord-viêtnamienne monte à l'assaut avec plus de 200 blindés, essentiellement des chars T-54 et PT-76, à travers la zone démilitarisée et via l'ouest, par Khe Sanh. 4 divisions déferlent dans la province de Quang Tri.

La 3rd Infantry Division de l'ARVN, nouvellement formée, qui couvre la province, est mise en déroute par l'attaque et beaucoup d'hommes se débandent. En outre, des frictions ont lieu entre les fantassins de l'ARVN et les Marines sud-viêtnamiens qui opèrent dans le secteur. La défense de la province de Quang Tri est fragile dès le départ. En outre, les deux premières semaines de l'offensive voient un temps bouché qui empêchent le soutien aérien rapproché américain. Par contre, à la mi-avril, les B-52 interviennent en force.

Mais les Nord-Viêtnamiens traversent en force la rivière Cam Lo-Cua Viêt et attaquent Quang Tri City de trois côtés, tandis qu'une puissante artillerie matraque l'ARVN au sud de la ville. Le 27 avril, la météo se dégrade et la division nord-viêtnamienne 304 repart à l'attaque. Des milliers de réfugiés sud-viêtnamiens fuient sur la route n°1, vers Hué. L'artillerie nord-viêtnamienne pilonne la ville et la route. Les morts sont si nombreux que les Sud-Viêtnamiens baptisent une portion de la route "la route des horreurs". Les Nord-Viêtnamiens s'emparent de Dong Ha le 28 avril et, finalement, de Quang Tri City le 1er mai 1972, et du reste de la province deux jours plus tard.

L'offensive nord-viêtnamienne se trouve ensuite dans l'impasse. A la fin de l'été, appuyé par les B-52 et avec un commandement supérieur renouvelé, les Sud-Viêtnamiens partent à la contre-offensive. Il faut des semaines de combats de rues pour reprendre Quang Tri City, le 15 septembre. Le lendemain, le drapeau sud-viêtnamien est hissé sur la Citadelle. La ville a été ravagée par les combats. L'ARVN a perdu près de 1 000 tués et plus de 4 000 blessés, et estime avoir tué plus de 8 000 Nord-Viêtnamiens. La bataille de Quang Tri et les succès remportés à Kontum et An Loc brisent l'offensive de Pâques de Hanoï. Les Nord-Viêtnamiens ont perdu en tout plus de 10 000 tués dans la province de Quang Tri, l'ARVN y laissant 2 000 morts et 9 000 blessés.


Pour en savoir plus :



James H. WILLBANKS, "Quang Tri City", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.952-953.

dimanche 6 octobre 2013

Cecil B. CURREY, Victory at Any Cost. The Genius of Viet Nam's Gen. Vo Nguyen Giap, The Warriors, Potomac Books, Inc, 2005, 401 p.

 
 
Etrange sentiment que je ressens après avoir relu, par le plus grand des hasards, cette biographie de référence du général Giap, qui est décédé hier à l'âge vénérable de 102 ans. Ancien membre de l'armée américaine, qu'il a quitté en 1992 avec le grade de colonel, Cecil Currey a commencé à écrire sur la guerre du Viêtnam à partir de 1981. On lui doit aussi une biographie d'Edward Lansdale. Comme le dit John Keegan dans la préface, ce travail aide à mieux comprendre pourquoi Giap est l'un des plus grands hommes militaires du XXème siècle. Le génie de Giap réside dans ses capacités d'organisateur, sa patience et sa persévérance, une volonté de fer, la capacité à apprendre de ses erreurs, et celle de persuader des millions de ses confrères viêtnamiens de supporter le prix de la victoire à n'importe quel prix. Peu de généraux peuvent se vanter d'avoir successivement triomphé des Français, des Américains et des Chinois. Giap est pourtant parti de rien ou presque, et sans aucune formation militaire. Il a été attiré par Napoléon dans ses lectures, mais sa stratégie, profondément ancrée dans l'héritage viêtnamien, joue sur la géographie, le temps, et l'évasion face à des engagements soutenus pour contrer des forces occidentales supérieures qui se reposent sur la rapidité de réaction, la technologie moderne et une logistique effarante.

Comme le rappelle l'auteur, cette biographie conclut un cycle de trois ouvrages consacré à la guerre du Viêtnam. Le premier, paru en 1981, mettait en évidence l'échec de l'armée américaine au Sud-Viêtnam, qui tenait, pour Currey, à l'échec du commandement. Puis, Currey s'intéresse à Lansdale, personnage un peu mystérieux qui avait préconisé d'autres solutions pour mener la guerre (1988). C'est alors qu'il en vient à s'intéresser à l'ennemi : Giap. Il a épluché la plupart des sources disponibles, et il est même allé jusqu'à rencontrer Giap et à l'interviewer en décembre 1988. Une deuxième tentative, malheureusement, se soldera par un échec l'année suivante.



Vo Nguyen est né à An Xa, en 1911, d'un père et d'une mère issus de la classe moyenne, dans une région bien connue pour sa fierté nationaliste et sa réticence face au colonisateur français. Il se distingue à l'école où il se frotte à la langue et à la culture française, en plus d'être déjà fascinés par les héros de l'histoire viêtnamienne, comme Le Loi. Il entre dans un lycée de Hué ouvert par le père de Diêm, le futur dirigeant sud-viêtnamien, en 1925. Il est en contact avec les idées nationalistes, puis communistes, puisqu'il lit Le procès de la colonisation française de Hô Chi Minh, sous le manteau, en 1926. Il est finalement chassé du lycée en 1927.

La rébellion anti-française est alors divisée entre nationalistes et socialisants, qui eux-mêmes sont éclatés en plusieurs groupes. Giap rejoint d'abord le Tan Viet, en 1927, non communiste mais à la rhétorique marxiste. La mutinerie de Yen Bai, en 1930, suivie d'un soulèvement organisé par les communistes, échoue complètement. La répression française est féroce. Giap, devenu journaliste, est arrêté et emprisonné entre 1930 et 1932. Il parvient à poursuivre des études à Hanoï grâce à la bienveillance de Louis Marty, qui travaille à la Sûreté du gouvernement général d'Indochine, qui est espère faire de ce brillant élève un modèle pour les Viêtnamiens sous domination française.

Il enseigne l'histoire de la France de 1789 au XXème siècle et se prend de passion pour Napoléon, qui devient d'ailleurs un des surnoms que lui attribue ses élèves avec celui de "général". C'est à ce moment-là qu'il fonde son propre journal antifrançais et qu'il rejoint, déçu par le Tan Viet, le parti communiste indochinois, en 1937. En mai 1940, Giap part avec Pham Van Dong pour le sud de la Chine, où se trouve Hô Chi Minh. Sa femme est arrêtée un an plus tard par les autorités françaises : abominablement torturée, elle meurt peu après en prison, quelques semaines après sa soeur, autre rebelle, qui a été fusillée.

En Chine, auprès de la 8ème armée de route intégrée au Kuomintang, Giap observe l'appareil militaire des communistes chinois. Il aurait peut-être même visité Mao dans le nord de la Chine. Il lit les ouvrages de Mao et y pioche pour former sa propre stratégie : s'il reconnaît l'importance du combat armé par les paysans, il insiste sur la lutte politique dans les centres urbains et ajoute des emprunts à Napoléon. Dès la fin 1940, Giap, sur ordre d'Hô Chi Minh, jette les premières bases du parti de la résistance aux Français en s'implantant parmi les montagnards du Nord-Tonkin. En 1941, 3 des 9 districts de la province de Cao Bang sont déjà sous son contrôle. Giap apprend les langues des montagnards, fait de la propagande via des publications, installe une structure administrative qui prend la place de celle des Français bien peu présents dans la région avec la menace japonaise et la défaite de 1940. Hô franchit la frontière en février 1941 et s'installe dans la grotte de Pac Bo. Il enseigne à Giap qu'il faut gagner la population, qui fournira ensuite tous les moyens de la lutte armée. En 1943, le Viêtminh compte déjà plus de 3 000 hommes et commence à fabriquer ses premières armes artisanales, dont des mines. Les Français réagissent cependant, et mènent la vie très dure au Viêtminh entre septembre 1943 et juin 1944. Giap mène ses premières embuscades et autres accrochages avec les Français à l'échelle de la section.

Avec l'effondrement du régime vychiste, Giap veut lancer l'insurrection, en juillet 1944. Mais Hô s'y oppose, ne jugeant pas le moment propice. Il le charge au contraire de mettre sur pied une véritable armée, à partir de rien. Le 22 décembre 1944, Giap passe en revue les premiers 34 combattants du Viêtminh, munis d'armes dépareillées dont certaines remontent à la guerre russo-japonaise de 1905. Deux jours plus tard, ses hommes attaquent avec succès un premier poste français, grâce à un excellent réseau de renseignement. Giap ne se contente pas de créer une armée régulière : il fonde aussi des unités locales, capables de mener de petites actions de combat dans leurs districts, et des unités d'autodéfense villageoises, qui se chargent des tâches quotidiennes de l'insurrection, localement. Les meilleurs combattants passent de l'une à l'autre : c'est le peuple en armes. Après le coup de force japonais du 9 mars 1945, le Viêtminh est requis par l'OSS et les Américains à des fins de renseignement. Giap en profite pour étendre l'influence du mouvement sur le reste du Tonkin et attaque les Japonais pour montrer sa détermination. Le 16 juillet, une équipe de l'OSS, dirigée par le major Patti, est parachutée en territoire viêtminh.

Les Américains font larguer des armes modernes, dont des mortiers de 60 mm, des mitrailleuses, des bazookas et des armes légères, pour mieux équiper le Viêtminh. Ils forment aussi une élite de partisans à leur maniement, à charge pour eux de former les autres. Le 15 août, grâce à la radio apportée par les Américains, Hô est l'un des premiers Viêtnamiens à apprendre la capitulation japonaise. Le Viêtminh descend alors sur Hanoï mais la résistance d'une garnison japonaise à Thai Nguyen retarde sa progression. Le vide du pouvoir créé par la situation permet au Viêtminh de s'imposer très largement dans une bonne partie du Viêtnam. Les Français, eux, veulent récupérer leur colonie tandis que le Viêtminh installe son propre gouvernement où Giap se retrouve ministre de l'Intérieur, tout en dirigeant l'appareil militaire.

La proclamation d'indépendance est faite par Hô Chi Minh le 2 septembre 1945, jour même de la signature de la capitulation par le Japon. Bientôt les troupes nationalistes chinoises et les Anglais occupent respectivement le nord et le sud de l'Indochine en vertu des accords de Potsdam. L'ancien empereur Bao Dai, qui s'est d'abord rallié au Viêtminh avant de s'en écarter, observe que Giap n'appartient pas aux vieux combattants du communisme comme Hô, exilés en Chine ou en URSS, mais à un deuxième groupe, souvent des anciens professeurs, influencés par la culture française.

Giap, qui fait une tournée d'inspection dans le Sud début 1946, organise le Viêtminh en vue d'une lutte armée contre les Français. Il est bientôt impossible de trouver un accord avec ces derniers. Pour avoir les mains libres, le Viêtminh, qui a d'abord misé sur un front national uni contre le colonisateur, se débarrasse des nationalistes, souvent par la violence, à partir de mars 1946. Giap, pour renforcer ses troupes encore mal armées et disparates, s'assurent le concours de 1 500 anciens soldats japonais, menés par 230 sous-officiers et 47 officiers de la Kempetaï, et commandés par le colonel Mukuyama de l'état-major de la 38ème armée impériale. Giap fait exécuter par ses agents, en juillet 1946, des centaines d'adversaires nationalistes du Viêtminh. Leclerc est remplacé, ce même mois, par le général Valluy, alors que les incidents se multiplient entre troupes françaises et les hommes du Viêtminh.

Après l'incident d'Haïphong en novembre, et les négociations dans l'impasse, Giap n'a d'autre choix que de lancer l'insurrection, le 19 décembre 1946, à Hanoï. Le Viêtminh y combat jusqu'en février 1947 avant de se replier dans la place forte du Nord-Tonkin. Pour décapiter l'insurrection, Valluy organise, en septembre 1947, l'opération Léa : un mouvement terrestre, aéroporté et amphibie contre le Viêt Bac, la place forte du Viêtminh. Lancée le 7 octobre, Léa manque de peu d'entraîner la capture de Hô et de Giap, pris au dépourvu. Giap tire les leçons de cette erreur : à l'avenir, le QG sera mobile, protégé par de la DCA et dispersé en plusieurs éléments. Anticipant les erreurs des Américains, Valluy croit avoir tué 9 500 viêtminh à la fin de l'année 1947, et en avoir mis hors de combat 30 000 en tout, chiffres probablement surestimés.

Giap reprend la stratégie de Mao, en l'adaptant au contexte. Il lui suffit de ne pas perdre contre l'adversaire, non de l'emporter à tout prix. Giap n'a pas suivi les cours d'une académie militaire, même dans les pays frères communistes. Il s'est formé sur le tas, et de par sa position de professeur d'histoire, il a longuement étudié, dès l'enfance aussi, les héros rebelles de l'histoire viêtnamienne. Pour mobiliser la population, il tire de cela l'idée qu'il faut associer étroitement patriotisme et socialisme. En outre, il faut gagner les civils en vivant parmi eux et en se comportant de manière exemplaire. Quand les soldats ne sont pas au combat, ils participent fréquemment aux tâches civiles dans leur secteur. Hô enseigne à Giap que l'unité politique doit préexister à la lutte armée. Giap puise chez Lénine, chez Mao, chez Clausewitz aussi. Mais il est capable de se départir, par exemple, des choix de Mao : l'assaut en vagues humaines, qu'il utilise fréquemment au départ, lui paraît bientôt de plus en plus inadapté. Par ailleurs, Giap emprunte beaucoup à Napoléon, un peu à Sun Tzu et peut-être même aux écrits de Lawrence d'Arabie. Il cherche à mobiliser la population sur une base politique, à endoctriner civils et soldats et user la volonté de l'adversaire par une guerre prolongée. Il reconnaît même avoir pris des éléments de la doctrine américaine !

Entre 1948 et 1950, Giap réorganise ses forces. La victoire de Mao, en 1949, offre au Viêtminh la possibilité de former ses sous-officiers et ses officiers, de se doter d'un équipement plus moderne et d'opérer, à partir de 1950, au niveau divisionnaire. Giap veille aussi à l'endoctrinement de la troupe, et établit un état-major avec des départements sur le modèle occidental. Il crée des régions militaires et divise l'Indochine en zones libres, occupées ou en zones de guérilla, pour déterminer les priorités. L'aide chinoise n'est vraiment massive qu'à partir de 1953 : en 1951, Giap ne reçoit que 20 tonnes d'approvisionnement par mois, contre 4 000 en juin 1954. Et il faut distribuer les ressources acquises : difficile au départ d'utiliser le millier de camions Molotova vu le terrain du Viêt Bac... Giap doit faire face à la tentative de pacification du delta du Tonkin par le duo Carpentier-Alessandri. Il donne l'ordre à la guérilla de disloquer les tentatives françaises. En réaction, les Français arment et organisent le million de Viêtnamiens catholiques présents dans le delta. Giap, par ailleurs, doit affronter au sein du parti la rivalité de son ancien complice Truong Chinh. Mais Giap parvient finalement à déjouer les manoeuvres et se rallie même Van Tien Dung, placé par Chinh pour le contrebalancer à la tête de la direction politique de l'armée. En octobre 1950, Giap se sent assez fort pour lancer une opération contre les postes français isolés le long de la RC 4. La retraite française se transforme en déroute : la France y laisse plus de 6 000 hommes, et de quoi équiper une division viêtminh. Giap a ce faisant sécurisé sa base arrière et sa liaison avec la Chine. De Lattre arrive en Indochine en décembre 1950. Il fortifie immédiatement le delta du Tonkin, mobilise les civils, alors que l'aide américaine se fait plus massive.

Encouragé par les conseillers chinois, Giap, qui sous-estime l'adversaire, pense que le moment est venu pour une offensive de grande ampleur. En janvier 1951, il lance ses troupes sur le delta. L'échec est coûteux face à la puissance de feu française alimentée par les Etats-Unis et face à une population, majoritairement catholique, hostile au Viêtminh. Le moral s'effondre. Giap doit se retirer ; De Lattre, malade, meurt bientôt d'un cancer. Il est remplacé par Salan. La bataille d'Hoa Binh, qui dure jusqu'en 1952, montre aux Français que l'armée viêtminh s'est grandement améliorée. Salan ne peut venir à bout du corps de bataille viêtminh. Giap y voit deux raisons : la difficulté à combattre sans front précis et le manque de réserves. Navarre remplace Salan en mai 1953. Il cherche à gagner du temps pour former l'armée viêtnamienne, auxiliaire de la France, et combattre d'abord au sud avant de se retourner contre le nord. Mais avec le mouvement viêtminh vers le Laos, Navarre approuve l'opération aéroportée pour occuper Dien Bien Phu.

Navarre espère créer une base aéroterrestre qui permette aux unités françaises de rayonner pour rechercher et détruire les divisions viêtminh. Mais les troupes ne s'enterrent pas bien et les bataillons aéroportés sont mal pourvus, d'ailleurs, pour le faire. Le renseignement français détecte l'approche des divisions de Giap, mais personne ne croit que l'artillerie viêtminh puisse menacer vraiment le camp et sa piste aérienne. Or, Giap veut lancer l'assaut dès le 25 janvier 1954, pressé par les conseillers chinois qui lui disent de procéder par vagues humaines, comme ils l'ont fait en Corée. Giap refuse et retarde l'attaque. L'assaut démarre le 13 mars 1954 grâce à un formidable effort logistique du Viêtminh. Parallèlement Giap lance des attaques en d'autres points pour distraire les réserves françaises. Son plan à Dien Bien Phu consiste d'abord à neutraliser la piste d'aviation, puis à prendre le secteur central et enfin la place forte au sud, Isabelle. Les Français sont surpris par la puissance de l'artillerie viêtminh, qui tire plus de 100 000 obus pendant la bataille. 75% des pertes françaises sont dues à l'artillerie. Giap lance ses troupes dans des assauts frontaux qui submergent rapidement Béatrice, Gabrielle et Anne-Marie.

Pendant que les Français tentent désespérément d'obtenir une intervention aérienne américaine, Giap prépare la deuxième phase de la bataille, qui commence le 30 mars. La bataille des 5 collines prend des allures de Verdun. Le Viêtminh ne sait d'ailleurs que faire des prisonniers collectés, car rien n'a été prévu pour eux, ou presque. En outre, Giap doit restaurer un moral chancelant parmi ses unités. La troisième phase de l'assaut démarre le 1er mai et submerge la place moins d'une semaine plus tard. La victoire de Giap n'a détruit que 4% du corps expéditionnaire français, mais l'effet politique et psychologique de la défaite de Dien Bien Phu est immense en France, à la veille des commémorations de la victoire de la Seconde Guerre mondiale. Le Viêtminh arrive en position de force à Genève : mais, suite aux pressions des Américains et de la Chine, le Viêtnam est coupé en deux à hauteur du 17ème parallèle. Les Américains, qui remplacent bientôt les Français au Sud, ne signent d'ailleurs pas le traité. Giap, lui, continue à maintenir la pression sur les Français et détruit le Groupe Mobile 100 sur les Hauts-Plateaux, en août 1954. C'est seulement le 10 octobre que Giap défile dans Hanoï à la tête de la 308ème division.

Giap devient alors vice-premier ministre du Nord-Viêtnam, Ministre de la Défense et chef des forces armées à la fois. L'armée compte 350 000 réguliers renforcés de plus de 200 000 miliciens. Mais au Sud, les choses se gâtent. Le régime de Diêm reçoit l'aide de Lansdale, qui organise des équipes spéciales pour semer le trouble au Nord. Sans grand succès. En revanche, elles poussent des centaines de milliers de catholiques du Nord à émigrer au Sud tant qu'il est encore temps. La réforme agraire enclenchée par le parti provoque des mécontentements. Il faut parfois envoyer l'armée pour réduire les opposants. Parallèlement Giap instruit l'artillerie, crée une aviation et une marine. Mais Diêm consolide son emprise sur le Sud et la réunification espérée par les dirigeants communistes n'aura pas lieu. Le Sud devra tomber par les armes.

Traqué par Diêm, le Viêtminh relance l'offensive en 1958. L'année suivante, le Nord prend les premières mesures pour soutenir la guérilla, alors que Diêm militarise de plus en plus l'administration. Le Politburo décide finalement, mené par Le Duan et ses partisans, de relancer la guerre au Sud. Giap commence à faire passer les anciens sudistes du Viêtminh réfugiés au Nord après 1954. Dès 1959, le Viêtcong attaque les conseillers américains qui épaulent Diêm. En décembre 1960 est créé le Front National de Libération, alors que le régime de Diêm commence à s'effriter. Malgré les moyens débloqués par l'administration Kennedy, le Sud-Viêtnam se délite progressivement. Les persécutions contre les bouddhistes, la défaite d'Ap Bac et la lassitude des Américains provoquent finalement la chute de Diêm en novembre 1963.

En 1964, le Viêtcong monte déjà des opérations à l'échelon du régiment. Giap jette déjà les bases d'une offensive contre Saïgon. Avec l'intervention directe des Américains après l'incident du golfe du Tonkin et le débarquement des premiers Marines, le Nord intensifie son soutien en refusant la négociation et en accélérant l'envoi de soldats réguliers au Sud. L'équilibre s'est rétabli avec l'arrivée des troupes américaines. Giap doit envisager une possible invasion du Nord, comment contrer les bombardements aériens sur le Nord et comment mener la guerre au Sud. L'URSS fournit bientôt les armes sophistiquées pour assurer défense aérienne et antiaérienne ; la Chine donne des hommes pour assurer les reconstructions. La campagne de Ia Drang, en octobre-novembre 1965, donne à Giap un aperçu des problèmes auquels il sera confronté avec les Américains. Surpris par la mobilité et par la puissance de feu de ces derniers, il réagit en préconisant de "coller aux ceinturons" pour éviter l'appui-feu américain, tout en évitant les grandes batailles rangées. Par ailleurs des ajustements tactiques sont réalisés pour contrer les hélicoptères et toute la population est mobilisée pour la lutte armée. Giap revient à la guérilla prolongée.

Les troupes de Giap ne gagnent plus de batailles pendant longtemps, mais ne perdent pas la guerre pour autant. Début 1967, le Viêtcong contrôle toujours une bonne partie du Sud-Viêtnam et les voies logistiques entre le Nord et le Sud sont maintenues et développées. Quand le Nord décide de lancer une offensive générale, début 1967, Giap y est hostile, en raison de sa stratégie de la guerre prolongée. Mais son grand rival Nguyen Chi Tanh, qui commande le quartier général politique et militaire au Sud, meurt en juillet 1967. C'est donc Giap qui doit se charger du plan de l'offensive du Têt. La phase de diversion détourne l'attention des Américains des villes, le véritable objectif, et continue de leur infliger des pertes. L'offensive, lancée les 30-31 janvier 1968, est une surprise quasi complète. Cependant, les unités sont souvent trop dispersées pour pouvoir obtenir l'effet de masse nécessaire. En outre, contrairement à ce qu'il avait prévu, les Sud-Viêtnamiens et les Américains n'hésitent pas à utiliser un appui-feu massif même en combat urbain. Le Têt est un désastre tactique, le Viêtcong en sort décimé, ses unités régulières ne pouvant plus opérer au-delà du bataillon. Mais Giap a montré que les Etats-Unis sont, depuis 1965, dans une impasse militaire complète. Il fait passer 90 000 hommes au Sud pour lancer la deuxième phase de l'offensive, en mai. Johnson reconnaît sa défaite et ouvre les négociations. Nixon lui succède. Mécontent du manque de progrès dans les tractations, il fait bombarder le Cambodge, sanctuaire logistique des communistes, dès mars 1969, et ordonne l'invasion un an plus tard. En septembre 1969, Hô Chi Minh meurt. Giap fait partie du trio qui dirige désormais le Nord-Viêtnam. Il continue la stratégie de guerre prolongée après la saignée du Têt, qu'il n'avait pas voulu mais qu'il a dû organiser.

Après les grandes opérations search and destroy du début 1967 contre les sanctuaires au nord de Saïgon, toute la logistique du Viêtcong a été déplacée au Cambodge. Tandis que la viêtnamisation s'accentue en 1969, Giap prépare ses troupes pour agir de nouveau en 1970. Par ailleurs la guerre se déplace au Laos et au Cambodge où Giap cherche à sécuriser davantage les voies logistiques. C'est pourquoi les Américains interviennent au Cambodge en 1970 puis lancent l'ARVN, seule, au Laos, en février 1971. L'opération tourne très mal pour les Sud-Viêtnamiens mais Giap a été contraint d'y engager ses réserves, et craint par ailleurs toujours une invasion du Nord. Le Politburo, grisé par le succès au Laos, ordonne pourtant à Giap de monter une offensive d'envergure pour faire tomber le Sud en 1972. Giap est contre mais doit encore une fois s'incliner. Les trois pinces de l'attaque, déclenchée à la Pâques 1972, sont successivement défaites, même si les combats durent jusqu'en septembre à Quang Tri. Giap a perdu 100 000 hommes mais les Nord-Viêtnamiens ont conquis du terrain au Sud et le régime de Saïgon a été fortement ébranlé. Néanmoins, Giap est privé du commandement de l'armée qui passe à Van Tien Dung.

Les accords de Paris sont signés en janvier 1973 et les Etats-Unis se retirent. Giap, malade, a dû être soigné en URSS en 1973-1974. Il revient à Van Tien Dung de planifier l'offensive finale contre le Sud à partir de l'automne 1973. L'armée du nord, qui opère désormais au niveau du corps d'armée, emporte finalement la décision en avril 1975, après une campagne de six mois. Après la chute du Sud, Giap voyage beaucoup dans le bloc communiste, en Afrique, en Asie et même à Cuba. En 1977, il préside à la création d'une académie militaire à Hanoï, alors que les incidents se multiplient avec les Khmers Rouges qui ont fait tomber le Cambodge en 1975.

Dès décembre 1977, les Viêtnamiens répliquent aux raids des Khmers et pénètrent au Cambodge. Les incidents montent aussi avec la Chine qui soutient Pol Pot. Les Viêtnamiens finissent par occuper la capitale cambodgienne en janvier 1979, ce qui déclenche la riposte chinoise, qui envahit le Viêtnam en février. Giap, ministre de la Défense, coordonne l'effort de l'armée avec Van Tien Dung. La Chine se retire en mars après avoir perdu 30 000 hommes. Giap, lui, perd son poste de Ministre de la Défense en 1980. Deux ans plus tard, il est éjecté du Politburo, remplacé par Dung. Giap est cantonné à des postes de second ordre et passe désormais beaucoup de temps dans sa villa de Hanoï. Il est définitivement écarté de toute responsabilité politique en 1991.

Giap a combattu pendant quasiment trente ans sans discontinuer, de 1944 à 1973. Son génie réside dans le fait d'avoir vaincu des adversaires beaucoup plus forts en étant en position de faiblesse. Formé sur le tas, il a souvent eu de bonnes intuitions, ce qui ne l'a pas empêché de commettre des erreurs. Il a beaucoup misé sur l'entraînement de ses hommes. Tactiquement, il n'a pu être défait complètement par les Français et les Américains. Stratégiquement, il a toujours associé le politique et militaire. Sur le plan logistique, il a su montrer de réelles qualités d'organisateur. Il a su apprendre de ses premiers contacts avec l'adversaire, tirer les leçons, s'adapter pour l'emporter. Il avait compris que la victoire passait par le fait de gagner la population sur les plans social et politique, ce qui lui permet de mener une guerre prolongée tout en marquant des points psychologiques pour user l'adversaire, à Dien Bien Phu ou pendant le Têt. Il ne vise pas une solution uniquement militaire. Là a résidé son triomphe face à ses différents adversaires.

vendredi 4 octobre 2013

P comme... Parrot's Beak

Le "Bec de Perroquet" est une partie du Cambodge, terminus de la piste Hô Chi Minh, qui s'avance sur la carte à l'intérieur du Sud-Viêtnam, au-dessus du delta du Mékong, au sud de la province de Tay Ninh et à l'ouest de celle de Hau Nghia, à une quarantaine de kilomètres de Saïgon. La route n°1 conduit d'ailleurs de Saïgon à Phnom Penh. Les communistes maintiennent des installations sur place qui leur permettent de s'infiltrer dans les zones tactiques des IIIème et IVème corps.

Les Sud-Viêtnamiens ont fréquemment réalisé des incursions dans le "Bec de Perroquet", mais les Américains sont au départ privés de ce droit. Le président Nixon autorise finalement le bombardement du Cambodge à partir de mars 1969, dans le cadre de l'opération Menu, par les B-52, mais les frappes sont maintenues secrètes. Début 1970, les communistes ont été rejetés au-delà de la frontière, au Cambodge. Les bases 367 et 706 des communistes restent installées dans le "Bec de Perroquet". C'est l'objectif de la troisième phase de l'invasion du Cambodge déclenchée le 1er mai 1970 par l'armée sud-viêtnamienne. La 9th Infantry Division américaine fournit l'appui d'artillerie et logistique seulement. L'ARVN progresse rapidement et découvre quantité de stocks d'armes et de munitions, tout en engageant des unités nord-viêtnamiennes et des Khmers Rouges jusqu'au nord et au sud de Phnom Penh.

L'invasion du Cambodge est le premier vrai test de la "viêtnamisation" et l'administration Nixon veut y voir un grand succès. En réalité, l'ARVN a dû aussi protéger les Viêtnamiens du Cambodge qui fuient les massacres commis par le régime du général Lon Nol contre cette minorité : elle a même dû soutenir des unités cambodgiennes mises en difficultés par des Nord-Viêtnamiens en plein repli. Lon Nol ne peut empêcher les communistes de réinvestir rapidement le "Bec de Perroquet". Malgré de nouveaux raids de B-52, cette base arrière sert de tremplin pour l'offensive de Pâques 1972 dans le secteur. Entre 1977 et 1979, c'est à partir de là que les Khmers Rouges lancent de nombreux raids contre le Viêtnam, et la zone sera dévastée par des opérations de représailles de l'armée viêtnamienne.


Pour en savoir plus :


John D. ROOTS, "Parrot's Beak", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.879.

jeudi 3 octobre 2013

O comme... Olds (Robin)

Pilote de l'USAF et commandant de la 8th Tactical Fighter Wing en 1966-1967. Né en 1922 à Honolulu, Olds est le fils d'un général de l'USAAF. Sorti de West Point en 1943, Robin Olds devient une légende de la chasse américaine avec 17 appareils abattus à son palmarès, pendant la Seconde Guerre mondiale et au Viêtnam. Volant d'abord sur P-38, il effectue plus d'une centaine de missions de combat, descend 13 appareils et en abat 11,5 de plus au sol. Au Viêtnam, sur F-4 Phantom II, il détruit avec des missiles air-air 2 MiG-17 et 2 MiG-21 au-dessus du Nord-Viêtnam.

Il prend la tête de la 8th TFW sur la base thaïlandaise d'Ubon, de septembre 1966 à décembre 1967. Il conçoit l'opération Bolo qui permet à l'USAF d'abattre 7 MiG-21 le 2 janvier 1967. Les Nord-Viêtnamiens reconnaissent la perte de 5 avions et le futur as du Nord, Nguyen Van Coc, aurait été abattu pendant ce combat. Olds n'a jamais été quant à lui descendu ou blessé. Promu général en juin 1968, il dirige les cadets de l'académie de l'USAF avant de prendre sa retraite en 1973. Il s'est souvent opposé à sa hiérarchie car il était partisan de l'aviation tactique et de l'entraînement des pilotes, et non de la puissance stratégique via les armes nucléaires. Il est mort en 2007 dans le Colorado.


Pour en savoir plus :

James H. WILLBANKS, "Olds, Robin", in Spencer C. TUCKER (éd.), THE ENCYCLOPEDIA OF THE VIETNAM WAR. A Political, Social, and Military History, Second Edition, ABC-Clio, 2011, p.862-863.

Pierre BROCHEUX, Hô Chi Minh. Du révolutionnaire à l'icône, Biographie Payot, Paris, Payot, 2003, 338 p.

 
 
 
 
Pierre Brocheux, enseignant et historien à la retraite désormais, a livré en 2003 cette biographie d'Hô Chi Minh, qui a même été traduite en 2007 par la Cambridge University Press. Difficile d'écrire une biographie d'Hô Chi Minh, relégué depuis la fin du communisme dans la galerie des tyrans rouges, avec Mao ou Staline. Pourtant le personnage reste encensé et pas seulement au Viêtnam, mais aussi en Thaïlande, par exemple. Il avait pourtant refusé que son corps soit embaumé, comme il l'a été. On manque encore d'accès au archives, soviétiques ou viêtnamiennes notamment, pour répondre à toutes les questions.

Nguyen Sinh Cung, devenu Nguyen Tat Tanh à l'âge de dix ans, est né en 1890 dans une famille paysanne de la province de Nghe An, alors que s'achève la colonisation française du Viêtnam. Son père est un paysan qui a accédé au mandarinat, qui fait de la prison pour avoir défendu des convictions. Le jeune fils, livré à lui-même par la mort précoce de sa mère, gagne bientôt Saïgon : après la culture chinoise, il se frotte à l'européanéité. Il gagne Marseille et Le Havre en servant sur les navires qui font la liaison avec la métropole. Après un passage à Londres, il s'installe à Paris en 1917. Anticolonialiste, lié aux milieux viêtnamiens en France qui rejettent la domination du colonisateur, il se radicalise progressivement, autour de 1920, après avoir été déçu de la position de la SFIO sur la question coloniale. Il rallie le nouveau Parti Communiste au Congrès de Tours, où il est intervenu, parce que celui-ci a mis à l'ordre du jour la libération des peuples coloniaux. Il publie, il écrit dans les journaux, il fait de la propagande, et tient déjà beaucoup à la notion d'égalité. Echappant à la surveillance de la police, il gagne l'URSS en 1923.

Il reste un an en URSS où il veut rencontrer Lénine, par lequel il s'est initié au communisme (il n'a jamais réussi à finir Le Capital de Marx...). Mais celui-ci meurt peu de temps après son arrivé. Nguyen Ai Quoc est considéré sur place comme un spécialiste de la question coloniale. Il allie étroitement nationalisme et révolution et insiste sur l'importance des paysans. Il est en fait peu sensible à la rhétorique communiste de la lutte des classes. En 1924, il gagne Canton et rejoint le Kuomintang de Sun Yat Sen, dans une Chine en guerre civile depuis 1911. Devenu Ly Thuy, il jette les bases de la révolution en Indochine en organisant les prémices d'un parti mais en initiant aussi ses compatriotes à une culture politique à la fois asiatique et européenne. L'écrasement des communistes par Tchang Kaï Shek en 1927 est pour lui une leçon. Il faut associer révolution nationale et sociale, s'appuyer sur les paysans, conserver une certaine autonomie. Revenu en Europe, puis renvoyé en Asie, il parcourt le Siam et la Malaisie et imprime déjà sa façon de faire dans ces voyages. Il doit ensuite fonder le Parti Communiste Indochinois, en 1930, alors même que les révolutionnaires et nationalistes sont très divisés. La révolte de Yen Bai et le soulèvement organisé ensuite par les communistes sont violemment réprimés.

Arrêté en 1931, Nguyen Ai Coc est finalement relâché et gagne Moscou en 1934. Il constate que l'URSS a bien avancé la reconstruction par rapport à son premier jour, mais la chape de plomb de Staline s'est aussi abattue sur la population. Critiqué pour allier un peu trop en avance l'alliance entre stratégie nationale et sociale, il demeure en URSS, marginalisé, jusqu'en 1938 et la fin des purges. Il gagne le Guanxi, dans le sud de la Chine, à la frontière avec le Viêtnam, où il rejoint les communistes chinois. Après la défaite de la France et les pressions de plus en plus fortes du Japon sur l'Indochine, Nguyen Ai Quoc juge le moment propice et regagne le Tonkin en janvier 1941. Installé à Pac Bo, près de la frontière avec la Chine, il y vit  avec ses camarades communistes dans des conditions spartiates. C'est là qu'il fonde le Viêtminh, parti qui va mener la lutte de libération armée du Viêtnam. Retournant en Chine en 1942, il est arrêté et emprisonné par les nationalistes chinois, mais il va savoir se les concilier pour contrer les Viêtnamiens soutenus par ces derniers. Quand il revient au Tonkin, le Viêtminh et ses premiers groupes armés se sont gagnés une bonne partie de la population du nord-Tonkin, malgré des revers en 1944. Raccompagnant un pilote américain abattu au-dessus de la zone contrôlée par le Viêtminh, Hô rencontre à Kunming le général Chennault et obtient de lui une photo dédicacée dont il saura se servir pour montrer le soutien américain. Le coup de force japonais du 9 mars 1945 établir "l"American Connection", puisque les Américains ont besoin de renseignements. Une équipe est parachutée en juillet et sauve peut-être Hô  du paludisme avec ses médicaments. Il est rapidement au courant de la capitulation japonaise et prend les devants, à Hanoï, pour proclamer l'indépendance, profitant du vide du pouvoir qui s'est installé.

Hô joue la carte de l'indépendance et de l'unité nationale. Jusqu'en décembre 1946, il signe décret sur décret, se rallie la jeunesse et la bourgeoisie "capacitaire", fait une place aux minorités montagnards sur lesquelles s'est appuyé, au départ le Viêtminh, combat les opposants qui ne veulent pas se rallier par les armes, si besoin. Il accepte l'occupation chinoise réglée à Postdam, fait des concessions mais montre aussi de la fermeté quand c'est nécessaire. Les Français, eux, ont repris pied dans le sud en octobre 1945. Leclerc comprend vite que la reconquête du nord ne sera pas facile. Hô signe un accord avec les Français en mars 1946. Mais les Français tente de restaurer leur souveraineté et ne veulent pas accorder l'indépendance. Venu en France pour négocier, Hô constate que les deux positions sont irréconciliables. Les combats d'Haïphong, en novembre 1946, jettent progressivement les deux camps vers la guerre. Le 19 décembre, les communistes attaquent les Français à Hanoï. La guerre a commencé. Le Viêtminh peut compter, à partir de 1949, sur la Chine devenue communiste. Hô incarne à la fois le chef de guerre et le chef d'Etat. Avec le tournant chinois, la dimension sociale prend de plus en plus le pas sur la dimension nationale. Hô rencontre Mao, puis Staline, qui le presse de mettre en oeuvre la réforme agraire. Il est patent que le Viêtminh est dès lors fortement influencé par le communisme chinois et la présence des conseillers de ce pays.

Après Dien Bien Phu, les accords de Genève coupent le Viêtnam en deux, au niveau du 17ème parallèle. Les Chinois préfèrent probablement une présence française affaiblie à la présence américaine trop près de leur territoire, et le Viêtminh est épuisé. La réforme agraire, finalement lancée en 1956, entraîne de nombreux abus et conduit à faire plusieurs dizaines de milliers de victimes (les chiffres sont disputés). Sur le plan culturel, le Nord-Viêtnam, qui s'assimile de plus en plus à un régime staline, suit l'orientation chinoise. Hô a longtemps cru que les élections prévues par les accords de Genève permettraient une réunification en sa faveur. Mais le régime de Diêm s'enracine, refuse les élections, alors qu'une faction des communistes au pouvoir au nord, menée par Le Duan, prépare activement le renouveau de la guerre au sud. En 1959-1960, avec la création de la piste Hô Chi Minh et du Front National de Libération, le Nord s'engage sur la voie de la confrontation avec les Etats-Unis. A ce moment-là, alors que Le Duan devient premier secrétaire du parti, Hô n'assume plus, pour Pierre Brocheux, qu'une fonction symbolique et diplomatique. Il essaie en particulier de jouer les conciliateurs alors que la Chine et l'URSS se déchirent après 1956. Résultat : le Nord-Viêtnam est soutenu par les deux puissances pendant le conflit. Mort en septembre 1969, avant la fin de la guerre du Viêtnam, Hô a ensuite été l'objet d'un culte de la personnalité qui visait à la fois à fédérer les Viêtnamiens et à l'isoler.

Hô Chi Minh, d'abord partisan de l'indépendance, se rallie au marxisme-léninisme parce que celui-ci semble lui fournir les outils pour le faire. Mais avec son éducation confucéenne et son contact précoce avec l'Europe, il est loin d'un dogmatisme affiché. "Pour faire le socialisme, il faut des socialistes", se plaisait-il à répéter. Ce qui ne l'a pas empêcher d'accepter le modèle soviétique socialiste.

Une biographie solide d'un personnage important du XXème siècle, peut-être malheureusement un peu trop légère sur la fin, pour la période post-guerre d'Indochine. Néanmoins la bibliographie fournie peut servir à creuser et l'on trouvera aussi en début d'ouvrage un tableau synoptique pour suivre les pérégrinations de Hô Chi Minh.